Éditorial – Le pétrole ne coute rien
Souvent, quand je donne des conférences, je taquine mon public en disant que le prix du combustible est ridiculement bas. Bien sûr, personne ne partage mon avis. C’est normal. Quand on a été habitué pendant des années à payer le combustible moins de 1 $ le litre (moins cher qu’une bouteille d’eau), on considère que 1,25 $ est exorbitant. Au moment d’écrire ces lignes, le prix d’un baril de pétrole est d’environ 55 $. Il contient 159 litres et vaut donc l’équivalent de 0,35 $/litre, non raffiné bien entendu. Dans le domaine maritime, le mazout lourd se vend approximativement 500 $/tonne, soit environ 0,48 $/litre.
Le combustible, c’est de l’énergie. On parle donc d’énergie liquide que l’on désigne en kWh. Il y a quelque 200 ans (il n’y a pas si longtemps), la majorité de l’énergie mécanique disponible provenait du travail d’êtres vivants : les chevaux, les bœufs et les humains. Mais au juste, combien coutait cette énergie en dollars d’aujourd’hui?
Ce n’est pas donné de posséder un cheval puisqu’il faut l’acheter, le nourrir, le soigner et l’héberger. Disons que tout cela remonte à 3000 $ par année. Maintenant, combien d’énergie peut-on retirer de cet animal sur une base annuelle? La puissance fournie par un cheval s’exprime en cheval-vapeur – ou horsepower (HP) en anglais – et équivaut à 746 Watt. Si notre animal travaille 8 heures par jour pendant 300 jours par année, il produira 1790 kWh d’énergie dont le cout s’élèvera à 1,70 $/kWh.
Un homme peut fournir au mieux 100 kW. Donc, en utilisant les mêmes valeurs que précédemment, il produira un maigre 240 kWh d’énergie par an. Si on lui paie un salaire de crève-faim de 30 000 $ par année (disons, pour les besoins de cet exercice, l’équivalent du cout pour acheter un esclave, l’héberger et le maintenir en vie), cette énergie nous coutera 125 $/kWh. À noter qu’à un tel prix, on a en prime un être avec un cerveau plus évolué.
Maintenant, combien coute cette même énergie lorsqu’elle est générée par du pétrole? Un litre de pétrole contient environ 11,66 kWh d’énergie. Cette énergie sera consommée par une machine dont le rendement dépasse rarement 45 %. L’énergie utile dans ce litre est donc environ 5 kWh. Le reste est perdu dans l’environnement par entropie et ne sera jamais récupérable. On arrive donc à 0,25 $/kWh, soit 7 fois moins cher que l’énergie fournie par un cheval et 500 fois moins qu’un homme!
C’est cette particularité qui a permis l’abolition de l’esclavage et l’élimination des chevaux dans notre société. Cela n’a rien eu à voir avec une conscience sociale retrouvée, le respect des animaux ou le souci pour la condition humaine.
Maintenant, comment évaluer le vrai cout de l’énergie? Nous venons de voir que dans le contexte actuel son prix est 500 fois inférieur à ce qu’elle coutait il y a 200 ans. Or, cela ne tient pas compte de coût environnemental qui est tout de même impressionnant. Avec le réchauffement climatique qui s’avance sur nous, Dieu sait combien cela va nous couter! De plus, cette ressource est non-renouvelable. Il a fallu des millions d’années à la terre pour la produire. Il y a de fortes chances que l’humanité ne soit jamais en mesure de l’exploiter à nouveau.
Le faible coût de l’énergie aujourd’hui a pour conséquence qu’on la gaspille comme s’il n’y avait pas de lendemain. On a bâti notre économie grâce à cette ressource que l’on croyait infinie. Elle est pourtant bel et bien finie.
L’homme est maintenant à l’apogée de L’Anthropocène. Nous vivons une époque dorée de l’humanité. Dans 200 ans, la vie sur la terre sera passablement différente de ce qu’elle est aujourd’hui. Quand nos arrière-petits-enfants regarderont vers le passé et constateront la vitesse avec laquelle nous avons consommé nos ressources, ils se demanderont sûrement comment il était possible que nous n’ayons pas accordé plus de valeur à ces ressources et empêché qu’elles s’épuisent. Elles seront alors devenues très précieuses à leurs yeux. Comment avons-nous pu les gaspiller à ce point?
La seule façon de sensibiliser les gouvernements et les individus aux économies d’énergie est via son prix. Si les efforts aujourd’hui ne sont pas suffisants et que la consommation de combustible passe souvent au second ou même au troisième plan des préoccupations des gens, c’est attribuable au fait que le pétrole ne coute pratiquement rien.
Dans un monde où la rentabilité et les profits sont les nouveaux dieux des entreprises, la seule façon de combiner nos efforts afin de réduire les GES et combattre les changements climatiques est de faire passer le prix du pétrole de 7 à 500 fois son prix actuel.
Il faut également limiter la croissance à tous les niveaux. Moins il y a de personnes et de machines, moins il y a de consommation d’énergie et de ressources. Jusqu’à présent, aucune énergie alternative (éolienne, panneaux solaires, etc.) n’a été en mesure de supplanter les combustibles fossiles et tout indique que cela ne se fera pas à l’avenir. Au contraire, ces sources alternatives s’ajoutent à la consommation d’énergie annuelle de l’humanité toujours en croissance. Notre seul salut est de réduire notre consommation et de mettre en œuvre des mesures sévères visant l’économie de l’énergie.
Bien sûr, on pourrait éventuellement établir un équilibre entre l’environnement, notre planète et notre consommation d’énergie. Nous l’avons déjà fait… il y a 200 ans. La population de la planète était alors de 800 millions, l’espérance de vie était de 30 ans et plus de la moitié de la population cultivait les champs. On naviguait sur des navires à voile et on pratiquait la pêche en chaloupe. Je ne suis pas certain qu’on y arrive avec 10 milliards d’individus qui ont une espérance de vie dépassant les 70 ans, et qui consomme 200 fois plus d’énergie qu’alors.
La réalité est qu’un jour nous devrons réatteindre l’équilibre. Ce sera à nous de décider si nous serons en mesure de gérer cette décroissance ou si elle nous sera imposée par les lois naturelles qui gouvernent notre planète et que nous devrons subir. Je préfère de loin le premier scénario. Le deuxième se concrétiserait sans doute par des guerres, des famines et/ou des pandémies. Après le retour à l’équilibre, il est fort à parier qu’il y aura pas mal plus d’humains qui se remettront à cultiver la pomme de terre. Les oranges de la Floride, les raisins du Chili et les avocats du Mexique seront alors hors de portée.
Notre croissance et notre explosion démographique sont dues au pétrole mais la résultante est maintenant que nous vivons sur du temps emprunté au futur.
Comme société, nous devons à tout le moins utiliser le pétrole qui nous reste avec respect et éviter le gaspillage. Implanter un programme sérieux d’efficacité énergétique sur votre flotte est une façon de démontrer votre intérêt pour l’environnement et le futur de nos enfants.
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